Pawel Czerwinski

L'hémisphère Droit

Classy Spicy

30.03.2022

– Messieurs-dames ! Qui est le suivant ?

     La tête du docteur, minuscule, ronde, portée sur deux épaules tombantes frôlant à peine les 1 min 50 s, apparut un court instant dans la salle d’attente que déjà Madame Piquette se levait, attrapa son sac plein à ras bord, vérifia derrière elle et suivit le médecin. Et chaque autre patient la regardait marcher à travers la pièce en l’enviant un peu. Puis la porte claqua après elle et le son de leurs voix ne fut qu’un murmure qui mourut derrière une seconde cloison.

– « Je vous en prie Madame, installez-vous ». L’homme s’assit en même temps sur son fauteuil de cuir rehaussé ; aidé, sous son bureau d’un surélévateur : un simple bloc de bois. 

– « Docteur c’est grave ». Madame Piquette comme pour faire durer le suspense, attendit que le médecin la regarde dans les yeux pour continuer à parler.

– « Dites-m’en plus… » insista l’homme, encore affairé à remplir quelques notes.

– « Écoutez… je pense que… je suis même certaine que… (un sanglot sembla lui monter à la gorge). Je pense qu’il y a un problème avec l’hémisphère droit de mon cerveau docteur… (Un temps sans qu’elle respire). Je crois qu’il est mort ! » Son œil cracha une larme.

Le practicien leva la tête, interpellé par ce terme. Ses deux paupières clignèrent derrière ses lunettes loupes, deux fois, trois, puis il comprit que son silence devient bien trop long. Il tenta de garder son sérieux :

– « Madame… ? »

– « Piquette ! Madame Piquette. » Les mains de la femme se nouaient et se dénouaient.

– « Madame Piquette, votre hémisphère droit ne peut pas mourir comme cela. C’est tout simplement impossible. Sinon vous serez dans un tout autre état ». Il considéra le corps plus que plantureux qui s’épanouissait devant lui, les mains grassouillettes cramponnées au bureau et cette impressionnante chevelure blonde à la limite de l’animal. Et il se remit à remplir ses documents.

– « Mais docteur (la voix de Madame Piquette devint aiguë) puisque je vous le dis ! Je ne pense plus comme avant ! Je ne peins plus ! J’avais l’habitude de peindre, des petites fleurs en bouquet, en bouture, en bouton. Et la plus rien ! Plus rien docteur ! » Et elle s’effondra pour de bon.

L’homme tendit machinalement sa boîte de mouchoirs en papier, trop souvent renouvelée.

– « Madame Piquette… »

– « Non, mais vous ne comprenez pas ! Vous ne comprenez pas ce que j’endure ! Je ne rêve plus, je ne crée plus. Tout ce que je vis est factuel, brut, pragmatique ! (ses bras se mirent à balayer l’air) savez-vous que je me lève en étant vide ? Vide d’énergie, vide de songe, vide de tout ! Je regarde les gens sans envie, et mon sourire peine à se lever. Voyez comme je ne souris pas i V’voyez ? (Le médecin acquiesça poliment). Moi, je veux rêver, m’épanouir, vivre, je veux voir des choses merveilleuses ! Et mes bourgeons, et mes bouquets, je suis si triste quand je ne peins pas, et la chanson et la… »

– « Très bien, très bien ! Calmez-vous Madame Piquette. Depuis quand ressentez-vous cela ? » Celui-ci posait enfin son stylo sur son bureau et remettait à plus tard ses papiers. 

– « Oh je dirais une dizaine de jours, peut-être un peu moins ! Le temps me paraît si long, vous savez ! » Ce dernier mot fut aspiré par un reniflement étrangement long.

– « Et cela vous est-il déjà arrivé au préalable ? » Le docteur semblait prendre à présent son rôle au sérieux.

– « Oh non jamais ! Jamais Grand Dieu ! Je peignais, je chantais. Je compose de très belles mélodies. Je suis douée, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors avec cette mort subite de mon cerveau, je ne suis plus rien vous comprenez ? » Une seconde larme crachée.

– « Madame Piquette, votre cerveau n’est certainement pas mort. Je puis vous l’assurer. Il est peut-être tout juste endormi ? »

– « Mais pourquoi dort-il ? Malheureux ! » Sur cela, le docteur ne trouva rien à répondre. Il hésita quelques instants. La femme tapotait un vieux mouchoir sur son teint fardé. Puis la pitié du docteur pour sa patiente prit le dessus.

– « J’ai peut-être quelque chose qui peut vous être utile, mais c’est relativement fort. Il faudra être prudente ! »

La femme acquiesça exagérément comme une enfant, les joues striées du khôl coulé.

 « C’est une petite gélule qui aide à penser ; qui stimule le cerveau. Cela ne fait pas mal, mais il se peut que cela vous fasse un peu dormir. Peut-être que vous rêverez à nouveau ? »

Un rire incontrôlé, trop bruyant, accueilla cette éventualité, alors le docteur gêné, s’affaira à remplir les papiers.

     L’échange se passa, la femme reçut l’ordonnance où était inscrit un nom à rallonge, composé seulement de consonnes, à deux exceptions près. L’homme perçut un chèque, au montant bien lisible, à l’écriture douce et ronde, et des points sur les i qui ressemblent à des bulles.
Sa patiente se leva la poitrine davantage sortie, les joues pourpres d’excitation. Elle se hâta, eut peur d’oublier quelque chose, vérifia son sac. Non, son chéquier était bien là. Puis elle quitta la pièce avec un sincère « Merci Docteur » et courut vers le placebo qui lui fera renaître le rêve.

Et il renaîtra.